[1-2] La mort au bout du fil

Quelle belle journée… Après toutes ces années, le spectacle de l’aurore est toujours aussi merveilleux. Mais est-ce Galaad qui regarde le soleil se lever, ou bien est ce le soleil qui regarde le seigneur qui s’éveille ?
Le prodige de la naissance couvre de sa chaleur le champ de bitume, et les fleurs de la ville frémissent avec coquetterie. Bientôt, la sève montera dans les arbres géants de Chicago, et les djinns gardiens de la nuit retourneront dans leur demeure souterraine.

Un homme passe, il est pressé mais il est heureux de la bénédiction du Dominus, et il lui fait présent d’un fragment d’étoile. Galaad s’étire et se lève, il y a encore tellement de choses à découvrir…

Spectateur de ce matinal événement et ravi de cette touche finale complétant l'Oeuvre, Galaad laissa échapper un léger cri appréciateur. Vêtu de son masque de banalité favori, il observa la scène avec attention.

L’homme est déjà loin, mais le fragment d’étoile reflète les rayons du soleil étrangement. Il semble encore endormi, comme un potentiel non révélé, comme une graine à la recherche d’un terreau fertile.
D’un autre point de vue, un clochard regardait avec intensité une pièce de monnaie quelconque jetée là par un mafieux pressé. Mais sur la face, au lieu de l’habituelle triste figure présidentielle, on y avait gravé un soleil, et sur la tranche une suite de chiffres.

Le visage s'éclaira d'un sourire radieux lorsque le Seigneur détailla l'offrande qu'il manipulait entre ses doigts comme un bijou précieux. Son regard puis sa tête se tournèrent dans la direction qu'avait emprunté l'être humain, ravi d'avoir trouvé un vecteur à suivre pour ses découvertes avant la prochaine aube.

Il se dresse et marche d'un pas nonchalant dans la direction désignée, faisant tourner la pièce entre ses doigts, lui glissant une étincelle d'épanouissement.

L’homme pénètre dans une grande maison où repose une hydre. Une de ses têtes vient de mourir, les autres se demandent qui va lui succéder.
La graine d’étoile, au contact de l’étincelle du seigneur de l’aube, commence tout doucement à germer. Elle ouvre un œil, puis murmure « je suis la fleur, je me réveille à peine… ».

Il se met à l'écart après un coup d'oeil à la scène de succession. Assis contre un de ces buissons figés et gravés, il tient la fleur entre ses mains et admire sa naissance avec un sourire d'enfant.

"Bonjour, fleur !"

Emue, la fleur défroisse délicatement ses pétales avec une coquetterie infinie, puis s’incline avec respect. « Je viens du Val, quelque chose de terrible va se produire, mais vous devrez rester aveugle aux suppliques pour éviter le conflit, et ne pas tomber dans l’obsession de la vengeance. »
Rosissant légèrement, elle continue d’une voix douce « je vous aime maître, alors il vous faut me perdre maintenant. Donnez moi en pâture au premier des serpents, et laisser vous bercer par ses paroles. »

N'avait-il rien entendu de ce que lui avait dit la fleur ? Quoiqu'il en soit, le Seigneur de l'Aube tendit à la fleur un sourire rassurant, glissant un doigt effilé sur ses pétales.

"Je t'ai entendue, fleur, et écoutée."

Se levant, il planta soigneusement son interlocutrice auprès du buisson qui avait fait office de dossier.

Etrange manège que celui de ce vagabond qui regardait la piécette jetée dans sa sébile. Il parlait tout seul et semblait la caresser. Quelques passants lui adressèrent un regard dégoutté avant de presser le pas, encore un fou au cerveau grillé par l’alcool.

Trop passionné par sa découverte du Monde pour se préoccuper des problèmes que le Val connaîtra dans le futur, le Seigneur s'intéresse à la scène qui se déroule non loin.

Retournant à une vision plus terre à terre - et nettement moins fantaisiste - il observe le sinistre enterrement et les luttes qui se préparent.

A peine plantée, la petite fleur s’enfonce dans la structure avec un déclic. La pièce glisse dans le téléphone public qui sert d’abri au seigneur de l’aube. A travers le combiné qui pend comme un gros serpent paresseux, on entend une tonalité…

Au même moment, une limousine noire s’arrête devant la maison. Un homme en sort, maigre, livide, les cheveux attachés en arrière. Il porte des gants, mais les sens développés de Galaad lui révèlent une odeur de charogne.

Il est de la Camorra, sous la protection d’Entropie…

La main saisit maladroitement le combiné et le porte à son oreille, le regard suit l'homme à l'odeur cadavérique, sa présence est assez importante pour être suivie.

« Bonjour Galaad… » la voix est facilement reconnaissable, il s’agit de Marcus le prophète, puissance des justes, frère d’âme. « Belle journée pour un enterrement, n’est ce pas ? »

"Marcus ! Entendre ta voix fait naître un grand bonheur en moi."

Un large sourire se dessinait sur les lèvres, mais Galaad ne quittait pas des yeux le protégé d'Entropie.

"Une belle journée, absolument ! Et cet enterrement m'a l'air des plus intéressants, mon regard semble se poser sur un nouveau détail important à chaque nouveau souffle."

« Galaad… »

La voix se fit soudain angoissée, et le silence qui suivit plus terrifiant encore

« Galaad… je suis mort… »

"Marcus ! Mais que s'est-il passé ? Tu dois me dire ce qui s'est passé..."

Le sourire rayonnant laissa place à une mine attristée et troublée.

La voix devient éthérée, monocorde, presque robotique « ils m’ont détruit le cerveau d’une balle en pleine tête, je n’ai rien pu voir de l’ennemi, j’était aveuglé. Ils ont gardé mon corps en vie artificielle, pour conserver l’étincelle sacrée du père jusqu’au moment où ils pourront la détruire.
Mais tout ça n’a aucune importance, je suis le prophète, j’ai un temps d’avance sur eux. Après avoir enregistré ce message, j’ai choisi un héritier. Ils vont le traquer et le tuer. Tu dois le protéger Galaad, et tu dois l’amener jusqu’à moi. »

"Un héritier ! Marcus, mais de qui s'agit-il et où es-tu retenu ?"

La Camorra, l'enterrement, la succession... Il continuait de surveiller tout cela.

« Mon corps se déplace… élémentaire prudence… »

Le cortège funèbre sort finalement de la bâtisse en ordre silencieux. Une longue file de limousine emprunte le boulevard qui part au nord de la ville.

« Je suis né hors du temps, mon existence transcende la chair, j’ai déjà commencé à sentir les choses, c’est celui qui me fera renaître qui t’a placé sur mon chemin. »

La voix s’éteint… mais au moment où l'on repose le combiné, un cri terrible se fait entendre

« Oh mon Dieu ! Par le chant de Cneph* NON ! Fuis Galaad, fuis ! Sauve moi, je t’en prie, libère moi de ce regard ! »




* autre nom du démiurge, mythique créateur de l’existence

Galaad sort de la cabine et scrute les environs, avant de suivre la direction du cortège de longues voitures noires, il doit trouver l'héritier avant que malheur advienne de cet individu... "C'est celui qui me fera renaître qui t'a placé sur mon chemin", serait-ce le généreux être humain qui lui a fait une offrande ?

A quoi ressemblait-il déjà ?

Malgré la fugace rencontre, l’image de l’homme est imprimée dans la mémoire photographique du Roi à venir. Brun, la quarantaine, l’air sévère, 1m80 environ, Drakkar Noir comme parfum, et manifestement une arme sous sa veste.

Le défilé des voitures commence à s’éloigner. Le membre de la Camorra jette un regard inquisiteur sur ses arrières, et se prépare à fermer le cortège. Au même instant, une prière traverse l’éther. Quelqu’un, quelque part, dans ton royaume, prononce le nom véritable de l'Aube. Plus qu’un simple adepte, c’est un être la puissance prodigieuse, Kalten le seigneur de l’acier.

Alors que l'appel heurte les sens du Seigneur, celui-ci cherche des yeux un moyen de communication avec la puissance de l'acier, son regard s'attardant sur toute surface réfléchissante...

La rembarde usée de cet escalier là-bas ! Le seigneur se précipite pour trouver, au milieu des différentes traces de salissures diverses sur le cylindre métallique, un espace suffisant pour envoyer un message à son interlocuteur. C'est ainsi que le clochard s'adresse discrètement au garde-fou de l'escalier :

"Frère, Marcus est mort... Quelque chose de terrible est sur le point d'arriver, son descendant... il a choisi un descendant ! Oh Kalten, cet individu est en danger, je dois le protéger ! Il faut que je retrouve leur piste... La Camorra est sur les lieux..."

Prudent, Marcus scrute les alentours avant de s'éclipser en vitesse vers la sortie prise par le lent convoi de limousines.

Les limousines partent vers le nord, comme un gros serpent repu qui glisserait sur un fleuve de goudron. Une fois sur les grandes avenues, ils ont tôt fait d’accélérer leur progression.

Vers le cimetière, c'est certain ! Le seigneur de l'Aube retourne parler à l'acier.

"Frère, vous devez me dire la raison de cet appel !"

Tranchant comme l'acier et chaud comme du métal en fusion, mon contact t'est désagréable dans sa forme.

"Je suis heureux de t'entendre à nouveau, Galaad. Le royaume est attaqué. Quelqu'un es train de faire rouiller l'acier et emprisonne le Val. La brume est épaisse, les loups hurlent à la mort et sa présence est oppressante.
Le sanctuaire est cerné d'une ronce empêchant, par le fait, tout aller et venue.

Les créatures du Val sont inquiètes et Joran est indisponible ce qui rend leur nervosité encore plus grande. Notre situation est peu enviable et notre agresseur puissant.
En supposant que la mort de Marcus est liée à tout ça, il faut se demander qui est assez fort pour tuer un prophète pouvant lire l'avenir comme un livre ?

Le rythme de mes paroles devient de plus en plus soutenu, sans raison apparentes.

"Ou bien est ce un sacrifice, à la manière des saintes écritures des hommes ? Souviens toi de celui qui se faisait appelé Jésus qui connaissait sont destin et qui pourtant a choisi de l'assumer afin de libérer les hommes ... Destiné en sais sûrement plus mais une fois encore il ne nous livrera jamais ses secrets, le cours de ce qui est écris ne peux pas être modifié... A moins que notre intervention auprès de lui soit déjà calculée, envisagé, écris....

Je réfléchie trop Galaad, l'acier se rouille et mes facultés en sont altérées, parfois je t'envie frère..."