[5-2] Marcus

La détonation est vite perdue dans le vacarme des voitures qui rugissent sur l’autoroute… mais elle trouve dans vos cœurs un écho différent. Un frère vient de prendre une balle en pleine tête, le coup vous transperce comme une flèche en plein cœur. Vous voyez le sang couler de lui comme une marée montante sur un château de sable.

Ailleurs, au beau milieu d’un Val sans retour, les brumes maudites qui entourent depuis longtemps une tour perdue, laissent résonner le hurlement de rage d’un spectre de satyre malheureux…

Les ténèbres s'abattent sur le visage de Galaad et se déversent dans ses entrailles alors que s'éteint le frère, troublé par l'horreur de la tournure des événements. C'est la gorge serrée qu'il prononce quelques mots à voix basse.

"Ils l'ont tué..."

[...]

Je reste sans voix comme si j'avais été mis KO sur un ring de boxe.

La porte du camion s’ouvre, en sort un homme tout ce qu’il y a de plus banal, trente cinq ans, typé italien, habillé en ambulancier, il lève les mains au dessus de sa tête en signe de reddition.

La mort n’est pas un processus instantané, elle se diffuse. Une à une les couches de l’âme se décomposent, retournant à l’éther. La dernière, la flamme sacrée, l’étincelle divine de l’imperator, vacille…

"Pas de temps à perdre !"

Puisant dans l'urgence dans les ressources de son corps venu d'ailleurs, Galaad sort de la voiture à toute vitesse non sans emporter Marsiglio dans son sillon, comme il l'avait déjà fait au cimetière. Ne prêtant pas la moindre attention aux exclamations des comparses mafiosi, il s'élance vers l'arrière de l'ambulance dans l'espoir de mener à bien le rituel avant qu'il ne soit trop tard.

D’un bond, la porte de l’ambulance est arrachée. Marcus gît là, sanglé dans un lit d’hôpital, plus maigre qu’on ne pourrait l’imaginer, un goutte-à-goutte maintenant inutile planté dans le bras. Le trou dans son crâne fait comme un troisième œil qui te fixe. Un œil vide, un œil de néant.

Aldo pousse un cri de surprise avant de te suivre l’arme au poing. L’ambulancier profite du chaos pour s’enfuir sur la chaussée. Un coup de feu claque, un innocent touriste sursaute et plante sa voiture sur le plot de béton.

L’intérieur de l’ambulance compte tout ce qu’il faut comme scalpel et autre scie…

"Héritier, je te présente mon frère Marcus..."

Il avait à peine le temps de murmurer à l'Acier ce qu'il était sur le point de faire, le rituel ne pouvait attendre l'aval de leur père, avant d'aviser le matériel d'un coup d'oeil bref. Il s'empare d'une de ces lames chirurgicales acérées et, lèvres pincées, tranche la chair du corps inanimé au niveau du sternum, traçant d'un filet carmin trois branches partant d'un point plus bas que le sternum.

Non sans un net écoeurement, il soulève soigneusement la peau pour révéler les entrailles du cadavre.

L’odeur chaude et acre du sang remplit l’habitacle de l’ambulance. Le corps agonisant exhale un atroce gargouillis dans un spasme réflexe. Au dehors on entend des coups de feu et des crissements de pneus. Aldo ouvre la porte en grand « qu’est ce que… aaaAAAAH ! » sa main se crispe sur le flingue qu’il brandit devant lui « bouge pas enculé, bouge pas ! »

Terrorisé par le comportement de Galaad, je le regarde faire en essayant de prendre conscience de la gravité de l'évenement. Je m'approche doucement du corps et me met à la disposition de Galaad pour qu'il puisse mener à bien le rituel de succession.

Suite au hurlement d'Aldo je crie à mes hommes de tenir bon dehors et que quoi qu'il arrive personne ne doit monter dans le camion avant qu'on en sorte.

Présentement, plus que la menace d’un fuyard sur l’autoroute, c’est la scène d’horreur qui se déroule devant lui qui semble préoccuper ton homme de main. « Patron mais… madre dio, qu’est ce qu’il fait ! »
Aldo semble au bord de la panique, et c’est bien sur Galaad qu’il braque son arme, le visage tordu de révulsion.

J'utilise tout mon charisme et mon statut de parrain pour le calmer.

Aldo, écoute moi et ressaisi toi! Ferme la porte de ce camion et ne laisse surtout personne pénétrer à l'intérieur. Nous devons récupérer quelque chose de très important sur ce corps et nous avons pas le temps de nous soucier des détails!
Allez Aldo ferme cette porte tout de suite et surveille la route!

Murmurant quelques imprécations dans une langue qui ne semblait pas provenir d'une bouche humaine, Galaad trace de nouveaux dessins sur la peau encore tiède, de véritables glyphes magiques comme on en voit dans les films excepté que ceux-ci manquent cruellement d'harmonie et d'esthétique. Plus de fonctionnel, moins de fioritures.

Pour la suite, la porte doit être fermée et le prince de l'Aube seul avec le futur membre de la famille.

Aldo livide, fit un pas en arrière. Il avait entendu parler de ces types qui avalent une clef et qu’on doit ouvrir…
Il referma la porte en tremblant, et vomit son déjeuner. On entendit encore deux coups de feu, des menaces en italien, et un bruit de course ; mais pas de sirènes… pas encore.

"Marcus mon Frère, puissance des Justes, puisse ta Volonté être exhaucée par mon Geste."

Et à chaque mot marqué, il sectionne une artère du coeur, rompant une à une les attaches qui retiennent l'essence de pouvoir au corps humain dont le fil de vie s'échappe trop vite. Il plonge la main dans les entrailles pour en extraire le coeur inerte.

"Marsiglio, toi l'Héritier, reçois la puissance de mon frère car c'est sa volonté. Moi, Galaad prince de l'Aube, te remets cette précieuse étincelle, car par les Crocs Sanglants j'entrave le cours naturel des faits et prive l'Imperator de ce pouvoir."

Il tend le muscle rouge vif à Marsiglio, dans une lenteur religieuse mesurée par l'urgence de la situation.

"Dévore ce coeur, repais-toi de cette puissance nouvelle, toi qui Sais à présent."

Ma destinée, voilà qu'elle se présente à moi.

Je prend le coeur de la main de Galaad et le contemple.

Dans un flash, je revois ma première rencontre avec Galaad, cet être surnaturel qui se déplaçait avec tant d'aisance entre les coups de feu dans le cimetière.
Son explication du monde trouve enfin tout son sens, je comprends ce que je dois être et pourquoi je dois l'être.

Je porte le coeur de Marcus à mes lèvres et dans un ultime effort, le dévore pour franchir la dernière étape de ma transformation.

Un flash lumineux, en un quart de seconde toute la vérité du monde se révèle à moi, c'en est trop pour moi...

Je sombre dans l'inconscience.

Sans effort, le prince ramasse le corps évanoui de Marsiglio et ouvre la porte du camion d'un coup de pied pour se précipiter vers la voiture. Il n'adresse pas une once d'intention aux humains excités à l'extérieur, allant jusqu'à encaisser quelques balles qu'on lui tire dessus.

"Allons en sécurité." dit-il au chauffeur une fois à l'arrière du véhicule.

Une illumination ? Non, plutôt l’écœurante odeur de sang, et le goût de la chair crue. La nausée est comme un raz de marée, comme si soudain les vannes de la conscience coupable lâchaient. Le choc est trop puissant et Marsiglio sombre dans l’inconscience le temps du voyage jusqu’à un repère sécurisé.