[2] Corpus

Un coup de feu claque dans l'atmosphère silencieuse du cimetière... la veuve s'effondre, bientôt c'est l'émeute.

La balle me transperce le flanc, elle n'est pas rentrée de beaucoup dans mon corps, ce n'est pas la première à passer par là... et sûrement pas la dernière non plus.

Réagir vite, le petit doit me croire blessé voir mort, je ne vais pas lui faire ce plaisir! A mon tour de sortir mon arme, les gens de ma famille ont la facheuse tendance à se ranger du côté du plus fort, il ne faut donc pas que je cède... Je pointe mon arme sur mon neveu et tire...

Maintenant une seule idée me hante rester debout et se mettre à l'abri, mes hommes de main sont là pour finir le travail....

Les hurlements des pleureuses sont vite couverts par le bruissement des chargeurs enclenchés dans les fusils mitrailleurs. Pieux mais pas très pressé de rencontrer son créateur, le prêtre se jette à l’abri dans la fosse. Les vieux parrains se cachent derrière leurs gorilles surarmés. A ta droite, Vito est déjà près à faire feu, il braille quelque chose en patois mi-italien mi-américain et te fais signe de venir. Le corps sans vie de Mike n’a pas encore touché la terre que la famille Falcone est déjà en ordre de marche, ils n’attendent qu’un signe…

Un ange passe… les secondes s’étirent comme des heures… il semble que plus rien ne justifie un bain de sang… ou plutôt que tout le justifierait. Silvio Nascienzese se tient légèrement en retrait, mais ne cherche pas à se cacher. On dirait qu’il n’est pas surpris par ce qui vient de se passer. Il ferme les yeux… et un déluge de balles commence à faire exploser les pierres tombales.

Je rejoins Vito et me met à l'abri, je garde un oeuil sur Silvio Nascienzese en attendant que la tempête se calme...

S'écartant devant le curieux cerbère, Galaad cherche à avoir un meilleure vue d'ensemble... Peut-être peut-on envisager une entrée alternative ?

Un coup de feu !

Non, ça ne peut pas se passer déjà... !

Un silence...

"Non !"

Le tonnerre de coups de feu retentit, Galaad cherche tant bien que mal à observer la situation, surveillant la réaction de la hyène.

Le cimetière est vaste, les autres entrées sont loin, et la hyène s’obstine à ne pas quitter des yeux cet innocent et négligeable clochard. L’héritier vacille, il semble touché… puis un deuxième coup de feu éclate.
Le camoriste ferme les yeux, et une fusillade éclate brusquement. Les impactes frappent brutalement les corps pris de soubresaut, on voit soudain l’hydre que l’on croyait morte revivre, deux têtes ont poussé là où on l’avait décapité.

Vito fait bouclier de son corps face à la famille Falcone, une balle lui perfore le bras gauche et il s’écroule sur le gazon anglais.

Vito, Non! Abattez moi tous ces chiens !

Je me réfugie derrière une tombe, toujours la main sur le côté pour retenir le début d'hémorragie. Non il ne gâcheront pas cette journée, je l'attends depuis trop longtemps... L'arme au poing j'attends caché que les hommes de ma famille finissent le ménage, si quelqu'un se montre je l'abats.

Sans prévenir, le Prince bondit vers la hyène, une grimace de combat figée sur le visage. Il doit pénétrer le sanctuaire où les deux nouvelles têtes de l'hydre semblent vouloir se dévorer l'une l'autre, si cela implique de neutraliser le gardien il le fera. Protéger l'héritier, c'est la mission que son frère lui a donnée, et la Camorra n'est pas là par hasard.

D'un coup de tête il sonne l'opposant pour le rouer de coups, cherchant à le faire reculer vers l'intérieur du cimetière.

La Famille Falcone et la Famille Paoloni se déchirent l’une l’autre, les balles pleuvent comme des grêlons et le cimetière n’est bientôt plus qu’un champ de bataille. Le parrain Giuseppe Falcone est barricadé derrière une rangée de gardes du corps rapidement criblés de balle.
La Famillie Miliari, armes au poing, exécute une retraite prudente. L’une de leur limousine blindée défonce le portique, et renverse au passage une escouade de soldats.

Soudain, un homme est catapulté à travers les rangées de tombe sur plus de dix mètres. Un clochard jaillit sur lui comme une fusée et lui éclate la tête sur une dalle de marbre. Etrange ce clochard… ses yeux bleu pâle semblent sans fin… mais qui peut le voir ? Pour Marsiglio, le temps semble se ralentir…

Nascienzese, qui était resté étrangement immobile tout ce temps, fait un petit sourire. Il ordonne à ses hommes de faire feu sur le seigneur de l’aube.

Après avoir appuyé un regard sur l'héritier, à la fois pour imprimer son visage dans son esprit et pour gagner en importance face à lui qui ne le connait pas encore, Galaad se rua pour éviter les flammes que la Camorra crache sur lui, saisissant au passage un bras de l'héritier, rejoignant un abri non loin de la famille Paoloni.

Une des balles percute la jambe de Galaad, traverse le muscle et laisse dans son sillage un orifice large de trois centimètres. Une autre rafale le touche à l’épaule, la balle se coince entre deux cotes.
Ces éraflures ne ralentissent même pas sa course lorsqu’il bondit derrière un mausolée fissuré par les impacts. A quelques mètres à peine, cachés derrière des cyprès tranquilles, ce qui reste de la famille Paoloni est tenu en respect par les tireurs Falcone.

« Cet homme est sous la protection de la Camorra… relâchez le immédiatement ou nous serons obligés d’utiliser la force contre vous. »

Bon sang, mais c’est qui ce type ? Et pourquoi il a les doigts palmés ??? Les oreilles de Marsiglio se mettent à bourdonner, son esprit se tord, son cœur se crispe.

J'essaye de reprendre mes esprits, pourquoi ce clochard si étrange vient d'essayer de me mettre à l'abri... Un flash, je me revois lui jettant une pièce d'un dollar il y a à peine quelques heures de ça... Qu'est ce qui lui a poussé à me suivre à travers toute la ville, ça ne peut pas être qu'une coincidence... aurais-je acheté sa loyauté avec un dollar, ça serait bien la première fois que ça m'a coûté si peu...
Je délire, il faut que je me reprenne!

Vous qui êtes vous! Lachez moi immédiatement sinon mes hommes vont se faire une joie de s'occuper de vous et vous allez vous retrouver sans trainer dans une des tombes qui nous entourent!

Nascienzese, que faîtes vous bon sang? débarassez vous de la famille Falcone au lieu de vous soucier de ce misérable clochard !


J'essaye tant bien que mal de reprendre mon arme qui est tombé au sol lors de notre chute.

Pas même essoufflé, évaluant la situation, le prince ne regarda pas l'héritier, il se contenta de sortir par intermittences irrégulières sa tête de l'abri pour estimer le temps qu'il leur restait.

"Vous êtes en danger, pire sans doute que ce que vous imaginez... Méfiez-vous des sbires de la Camorra... Ce chien a déjà une partie de vous, ça lui donne un avantage considérable. Vous n'avez pas senti la mort s'échapper de cet homme ?..."

Il tourna ensuite un regard profond vers l'humain, un étrange sourire sur le visage.

"Faites-moi confiance."

Puis montrant l'arme que Marsiglio vient de récupérer, il lui fait un rapide signe de la main.

"Donnez-moi ça."

Le choc aurait du lui écraser la boîte crânienne… mais il en faut plus pour blesser un noble. La hyène déguisée en garde du corps se relève, débarrassant les morceaux de marbre fichés dans sa face. Silvio lui sourit et l’interroge du regard, il répond d’un hochement de tête.

Comme un seul homme, les gorilles à poils ras de la Camorra vident leurs chargeurs en l’air. Les balles partent dans l’azur… avant de revenir furieusement sur leurs pas, contournant l’abri, pour perforer la cible qui se croyait à l’abri.

"Souvenez-vous de mes paroles !"

Un véritable panier de crabes, et sans aide il ne parviendrait sans doute pas à tirer l'héritier d'une telle situation. Si la Camorra avait pour ordre de le tuer, elle l'aurait déjà fait... Un sursis était donc accordé, sans doute le Frère de l'Acier pourrait-il l'aider...
Ces pensées fusèrent dans l'esprit du Noble alors qu'il bondit à une vitesse fulgurante de l'abris pour rouler au sol, l'arme de Marsiglio d'une manière ou d'une autre dans la main droite. Une grande partie des balles se fichèrent dans la pierre morte, il encaissa le reste sans douleur manifeste.

Courant comme un diable, le vagabond vide son chargeur sur les gorilles armés, avant de filer du champ de bataille, jetant l'arme derrière lui pour la rendre à son propriétaire.

Les balles… avaient fait demi tour. Ce type aux yeux bleus en avait encaissé deux dans le torse, une dans le bras, et une dernière avait glissé sur sa tempe. Malgré tout… il avait bondit dans les airs, et l’autre type avec des restes de marbre dans le crâne était parti à ses trousses en courant à quatre pattes… C’en était trop pour l’esprit de Marsiglio, qui se brisa comme du bois sec. Bientôt le cognement de son cœur emplit tout son champ auditif, et il se sentit rapetisser. Il n’était plus qu’un brin d’herbe balancé par le vent au rythme inlassable qui pulsait dans ses veines. Au loin, il vit venir un sombre cavalier, il tenait dans sa main une épée dont la noirceur éteignait le soleil, et les sabots de sa monture faisaient trembler le sol.
Le Cavalier se rapprochait… il s’évanouit.



Galaad fut rattrapé par une odeur de violette, et il comprit tout de suite. La hyène n’était autre que Papias, puissance de la contradiction. Elle s’arrêta net à la porte du cimetière.

Les types de la Camorra n'ont jamais eu aucun scrupule à briser les règles auxquelles se plient tous les autres, et ce n'était pas aujourd'hui qu'ils allaient faire une exception... Il faut trouver qui les avait engagés, qui était celui ou ceux qui ont tué Marcus et organisé cette machination.

Le Prince se retourne pour fixer des yeux le Noble qui s'est mis au service de la Camorra, puis à l'aide d'une des nombreuses douilles ramassées sur le champ de morts, il fait parler l'acier.

"Frère, j'ai besoin de ton aide."

Papias s’allume calmement une cigarette. Manifestement peu motivé à poursuivre l’affrontement hors de la zone de son contrat.

Pendant ce temps là, la Camorra entreprend de ramasser le corps inanimé du futur parrain de la famille Paoloni, et de l’amener jusqu’à une clinique privée.

"Frère, tu dois me retrouver à Chicago : j'ai besoin de ton aide pour exhaucer les voeux de Marcus, je t'expliquerai sur place."

Le prince chercha à se faire plus discret, ayant dans l'idée de repérer l'endroit où les Camorristes cherchent à emmener l'héritier.

Citation :

"Calme ton ardeur, Galaad ! Mon domaine est agressé et suis prisonnier du Val qui n'a jamais aussi bien porté son nom qu'aujourd'hui. C'est moi qui ait besoin de toi, Blasphème fait partie du complot, mais je le crois trop idiot pour être la tête pensante de ce plan.
J'essaye de trouver de sortir du Val."

Le crépitement des coups de feu finit par se calmer. On entend des sirènes au loin, pas trop pressées manifestement. Papias écrase sa cigarette « désolé… j’espère que tu n’y vois rien de personnel. »

Une ambulance anonyme arrive d’une rue perpendiculaire et pénètre dans le cimetière par un des grillages défoncés.

"Si tu savais ce que tu es en train de faire, tu ne dirais pas ça..."

Le prince foudroya le noble du regard, ne cillant pas quand l'ambulance passa tout près.

Citation :

"Galaad, une dernière chose, garde cette douille dans ta poche"

« Je sais très bien ce que je fais : je rembourse une dette… et à ta place, je ne jugerai trop hâtivement. Toi aussi, un jour où l’autre, tu auras besoin de transgresser les règles du seigneur aux mains sanglantes, et alors… »
Il haussa les épaules. « Si j’avais le choix, je ne serais pas là, tu le sais bien. »

Exécutant soigneusement l'ordre de son frère, le Prince de l'Aube appuya un nouveau regard sur la Contradiction.

"Que sais-tu exactement sur les conséquences de cette fusillade, Papias ?"