[1-3] Le secret de l'acier

Le Val sans retour est plongé dans une aube languissante depuis près de mille ans. Pas de nuit, pas de crépuscule, pas non plus de terreurs nocturnes ni de rencontres sous les étoiles… Juste une perpétuelle éclosion de la nature, figée dans un élan créateur. Cette absence de rythme naturel a de nombreuses conséquences, la moins agréable est d’avoir rendu la puissance régnante insomniaque.
Les habitants de la cité royale ne dorment jamais au même moment, en fait ils ne dorment jamais vraiment, ils somnolent ou vont batifoler dans les champs, mangent et travaillent à toute heure, sans crainte d’un éventuel lendemain, sans horaire, dans une sorte de brouhaha permanent. Régner sur une telle ruche demande d’être disponible tant que dure l’activité… c'est-à-dire en permanence.
C’est pourquoi, chaque habitant de Luth sait dès sa naissance que lorsque le Sénéchal arrive à dormir, la vie toute entière se doit de garder son souffle. A moins bien sur qu’une menace rôde sur le sanctuaire…

« Maître Kalten ! Maître Kalten ! »

Je fronce les sourcils et je maintiens les yeux clos.

"humm... Qui ose ? Et surtout pourquoi ? De ta réponse dépend beaucoup de choses qui te concernent au plus haut point, Voisin !"

(Ahah, Emouchet style, ça promet)

Le serviteur termine sa course par une glissade sur un genou, tête baissée. Le silence s’installe alors qu’il tente de reprendre son souffle, puis il se met à parler très vite, et à voix basse.

« C’est la porte du sanctuaire maître… une ronce vient d’y pousser, le jardinier dit qu’il n’a jamais vu ça. »

Le sanctuaire… les appartements personnels de Joran… le saint des saints où seul les puissances peuvent pénétrer. Le toucher c’est toucher le cœur même du royaume. Une ronce… l’ancien blason… hasard ou provocation ?

Contrarié et toujours étendu sur le dos.

"Dois je réellement répéter mes questions pour que tu y répondes, Voisin ?"

L’homme déglutit, le visage toujours tourné vers le sol.

« Je… je suis Emile monseigneur, le conseiller rattaché aux affaires internes. Une ronce étrange vient de pousser aux portes du sanctuaire, les épines ont pénétré la roche et fissuré le battant de marbre.

C’est anormal et… comme vous nous avez dit que le sanctuaire est le reflet du royaume, nous avons pensé qu’il pouvait s’agir d’une menace sérieuse et… »

Sa voix mourut, l’éventualité d’une bourde le faisait soudain présager une fin violente.

"C'est vrai et tu as bien retenu ta leçon, Emile. Je vais m'occuper de ce problème. Rassemble mes affaires dans l'éventualité d'un voyage et met de l'ordre dans mes appartements."

Je me lève et me dirige vers la table sur laquelle se trouve mes "tonfas".

"Ne prends pas ça comme un tache ingrate ou facile. Si je dois m'absenter il faudra que j'agisse vite. Sois présent quand je repasserai cherché les affaires dont je pourrai avoir l'utilité."

Je me dirige au plus vite vers le sanctuaire.

Trop heureux d’avoir échappé à l’orage, l’homme se confondit en remerciement « immédiatement Maître, je m’en occupe de suite, tout sera prêt »

Sur place, la situation a encore empiré. Le pied de ronce enserre le sanctuaire comme une gangrène. Les épines dures comme du métal, ont commencé à ronger le cœur du royaume.

Soudain, un loup blanc apparaît sur la petite route qui monte au sanctuaire depuis la forêt, et s’incline. Il porte les couleurs du peuple fée qui vit sur les bords du lac « Mes respects à celui qui est, nous sommes porteur d’une nouvelle venant du versant des brumes que nous voulons adresser à celui qui sera… »

Je jette un coup d'oeil par dessus mon épaule, afin d'être certain qu'il s'adresse à moi. Une fois rassuré (?) je regarde le loup dans les yeux.

"J'assume le rôle de celui qui est et te remercie pour vos respects.

En tant que Senechal et comme la modestie n'est pas mon fort j'assume aussi le rôle de celui qui sera, Voisin. Apporte moi, du versant des brumes, ce que mes oreilles ont besoin d'entendre."

Le loup gratte le sol, il n’aime pas la situation. « Alors… mon message s’adresse au père, qui fut, est, et sera. Puisse tu lui dire que les brumes s’épaississent, et que nous avons perdu le chemin de l’extérieur. Les gardiens du petit peuple ne savent plus où se trouve le gué du fleuve de sang. Nous l’implorons de baigner le royaume de sa lumière bienfaisante, afin que les brumes se dissipent. »

Je croise les bras et regarde le loup de haut à la manière d'un père en colère devant la bétise de son garçon.

"Je ne suis pas certain que tu comprennes bien la situation, Voisin. Te rends tu compte de ce qui se passerai si les brumes venaient à être dissipées par le frère soleil ou la soeur lumière ?
Mais je conçois que la situation soit problématique. Joran sera attentif au soucis mais j'omettrai, pour notre bien à tous les deux, la suggestion émise.

Y a t'il d'autres solutions dont tu voudrais me faire part et pour lesquels je pourrai te sauver la vie à court terme ?
Mon temps est précieux et je ne te ferai pas la proposition une deuxième fois, réfléchie bien."

Le loup poussa un grondement plaintif avant de répondre « nous craignons que sans passage vers le monde du dehors, celui qui sera, notre guide, ne puisse revenir au bord du lac… les hurlements du spectre se sont fait soudain plus forts, le petit peuple y voit un mauvais présage. Je ne suis qu’un loup, pour protéger la meute de l’ennemi je peux mordre, mais sans le voir je ne peux que grogner. »

Arborrant une expression plus détendu.

"Merci de ces informations et retourne auprès de ta meute, en son coeur vous serez plus fort. La demande de ceux qui t'envoient ne restera pas lettre morte. Je dois partir, le jardinier m'attend.
Adieu Voisin !"

Le loup s'incline, et repart vers le lac des brumes.

Quelque part sur la terre quelqu'un souffre et tente de t'appeller, tu en as le pressentiment, mais ses yeux arrachés ne lui permettent pas de voir ton reflet dans l'acier, et sa prière ne parvient pas jusqu'à toi.

Je frissone, ce sentiment m'agace. Je me rend au plus vite auprès du sanctuaire pour faire un premier bilan de l'agression.

Les portes entravées ont du mal à s’ouvrir. L’intérieur du sanctuaire semble néanmoins préservé. Le grand trône au dessus duquel brille le soleil immobile est vide, tout comme le jardin privé et la bibliothèque. Le jeu de GO laissée là par un enfant capricieux n’a pas bougé depuis dix ans, le silence est seul maître des lieux dans les grands couloirs ombragés par les puissantes colonnades de marbre. L’arbre d’acier qui marque le début de tes propres quartiers par contre, n’est pas dans son état normal, des piqûres de rouille le ronge à l’intérieur comme à l’extérieur. Quelqu’un, quelque part, est en train de s’en prendre à ton domaine.

Je consate les dégâts réalisés sur mon domaine. Les larmes me montent aux yeux. Je manque de recule sur la situation, j'ai besoin de sortir du domaine pour enquêter sur cette agression. Ma tristesse se meut petit à petit en colère et c'est en fureur que j'arrive à mes appartements récupérer les affaires préparées par Emile.

Sans regarder plus en détail dans le sac et sans un mot pour Emile je me dirige vers le fleuve de sang et de brumes.

Le gros loup blanc n’avait pas sous estimé l’ampleur des dégâts. La brume n’est plus la même : plus épaisse, plus fourbe, aveuglante… l’accès à la terre semble avoir tout simplement disparu.

J'essaye de prendre une posture majestueuse.

"Que se montre le fils attendu !"

Un temps, le silence… puis une réponse…

Devant le brusque arrêt de la conversation j'insiste sans espoir.

"Galaad, Galaad... !"

Encore plus en colère qu'auparavant (c'est pour dire) et prisonnier de mon propre monde, je me dirige vers la plante histoire de me défouler et pour faire augmenter ma compétence de bucheronnage.

Coupé dans mon élan je perçois le contact d'un éclat de lumière matinal sur mon visage. J'essaye de me détendre un peu, les plis de mon front se font moins durs, malléables comme un morceau de métal chauffé, à coup de marteau.



"Je suis heureux de t'entendre à nouveau, Galaad. Le royaume est attaqué. Quelqu'un es train de faire rouiller l'acier et emprisonne le Val. La brume est épaisse, les loups hurlent à la mort et sa présence est oppressante.
Le sanctuaire est cerné d'une ronce empêchant, par le fait, tout aller et venue.

Les créatures du Val sont inquiètes et Joran est indisponible ce qui rend leur nervosité encore plus grande. Notre situation est peu enviable et notre agresseur puissant.
En supposant que la mort de Marcus est liée à tout ça, il faut se demander qui est assez fort pour tuer un prophète pouvant lire l'avenir comme un livre ?

Perdu dans mes pensées j'avance à la vitesse dont elles me viennent. Le rythme de mes paroles devient de plus en plus soutenu.

"Ou bien est ce un sacrifice, à la manière des saintes écritures des hommes ? Souviens toi de celui qui se faisait appelé Jésus qui connaissait sont destin et qui pourtant a choisi de l'assumer afin de libérer les hommes ... Destiné en sais sûrement plus mais une fois encore il ne nous livrera jamais ses secrets, le cours de ce qui est écris ne peux pas être modifié... A moins que notre intervention auprès de lui soit déjà calculée, envisagé, écris....

Je réfléchie trop Galaad, l'acier se rouille et mes facultés en sont altérées, parfois je t'envie frère..."

Faire parler l'acier n'est pas une chose facile... en plus de la fatigue due à l'effort, il t'en coute un peu d'énergie magique. (-1Pt)

A nouveau cette faiblesse, ce vertige… a nouveau cette atroce impression d’être dépossédé. Tu sens une ponction, comme un vol. Ton pouvoir t’échappe, la dépense d’énergie occasionnée par le contact est comme une brèche par laquelle s’engouffrent les serres d’un ennemi invisible.

Il faut que je sache ce qui se passe et ce n'est pas restant les bras croisé que ça ira mieux.
Je retourne au sanctuaire, m'assoie devant à même le sol.

Le Val sans retour n'a jamais aussi bien porté son nom.

Je me concentre pour essayer de rentrer en contact avec mon ancre...

Souffrance… stupeur… et cette atroce incompréhension née de la mutilation. Des tiges d’acier transpercent tes bras, tes jambes, et tes yeux. Ta gorge est brisée à force d’avoir hurlé. Au début, tu t’es demandée pourquoi… ensuite tu n’as pas compris ce qui les poussait à te laisser vivre… mais au bout du compte, il n’y a plus qu’une seule question qui hante ton esprit « pourquoi a-t-il laissé faire une telle horreur ? »