[1-1] La Famille

Quelle belle journée pour un enterrement… Le soleil levant de Chicago caresse la ville engourdie par les affres de l’hiver, et la fumée qui sort des plaques d’égout crée d’esthétique volutes. C’est amusant de voir comment une bonne nouvelle peut teinter de bonheur la jungle urbaine des pires crapules.
Le parrain est mort dans la nuit. Mort naturelle, ce qui fait froid dans le dos quand on y pense. L’empire familial devrait échoir à Mike, son fils, mais ce n’est qu’un crétin arrogant sans envergure. Tous les regards se tournent par conséquent vers l’oncle Marsiglio, le consiliere, un homme dur et vicieux.
C’est justement lui qui marche d’un pas léger. Il va présenter ses hommages à la veuve, et il accompagnera le cortège jusqu’au cimetière. Peut être même va-t-il porter le cadavre de son aîné jusque dans la tombe. Il lui faudra effacer ce sourire guilleret de son visage, ça ne serait pas correct vis-à-vis des quatre familles qui seront présentes.

Il sort une pièce de un dollar, et la jette dans la timbale d’un clochard sur le bord de la route. Gageons qu’il vient de se montrer assez généreux pour l’année à venir…

Je m'approche de la veuve en gommant toute trace de sourire de mon visage. Je prend une expression de visage des plus neutres pour coller à la situation.

Madame, toutes mes condoléances, c'est une perte tragique qui vient de s'abattre sur notre famille.
Venez, prenez mon bras, je sais comme il est important dans ce genre de situation d'avoir quelqu'un de fort sur qui on peut s'appuyer, et vous savez que pour cela vous pourrez toujours compter sur moi.
Surtout ne vous inquiétez pas, je sais à quel point votre mari tenait à ce que vous ne manquiez de rien, il en sera toujours de même j'y veillerai personnellement.

Je me met alors à son coté pour l'escorter le temps de la procession funéraire.

La veuve sicilienne, triste comme une madone, est couverte de noir des pieds à la tête. Elle écoute les condoléances de son beau frère, et hoche la tête, retenant quelques sanglots derrière son voile. Mais comment ne pas remarquer le regard noir de Mike qui glisse jusqu’à son oncle adoré avec l’éclat d’un poignard. Le petit a pris de l’avance, il est déjà en train de discuter avec Tony, assassin à la retraite, un des plus vieil ami du parrain, et avec le consiliere de la famille Falcone.

Chacun à son tour vient présenter ses hommages au parrain, puis la procession des limousines, plus riche que pour celle d’un ministre, se dirige vers le cimetière. Les quatre familles sont ici, reconnaissables aux costumes tous identiques. La Famille Falcone, costume noir et rose rouge, qui dirige le cartel de la drogue, la Famille Miliari, costume noir et cravate mauve, qui a la main mise sur le trafic d’armes, la Famille Paoloni, à l’honneur tout en noir, connue pour ses relations dans le monde des affaires et de la politique, et enfin la famille Nascienze, de la camorra sicilienne, qui vient d’arriver d’Italie pour honorer la mémoire du parrain.

Le prêtre s’avance et commence une belle homélie…

Pendant la cérémonie, je fais signe à mon plus fidèle lieutenant, Vito, de venir à mes cotés.
C'est l'un des rares dans lequel je peux avoir confiance. Trop vieux pour prétendre à la place de parrain, il fut le plus fidèle ami de mon père et de loin il a toujours veillé sur moi depuis la tragique disparition de ce dernier alors que je n'avais pas encore fêté mon sixième anniversaire. Maintenant je veille autant sur lui qu'il veille sur moi, mais sans lui je ne serais pas où j'en suis maintenant... il connaît tout le monde, mais plus important il sait comment parler et se faire écouter de tous... il n'y a pas quelqu'un de la famille qui ne lui doive pas un service.

Une fois près de moi je lui chuchote à l'oreille :
Vito, il est temps de penser à la suite, fait savoir à la famille que la succession du parrain se fera demain soir à mon restaurant. Seuls les présents auront leur mot à dire. Envoie ton neveu surveiller Tony, le petit Mike vient de le contacter, je ne veux prendre aucun risque s'il tente la moindre chose contre moi, fait le disparaître. Je veux que cette histoire se règle au plus vite. Pour Mike je me charge d'aller lui parler, je crois que ce petit à besoin de quelques mot de son oncle pour l'orienter dans la bonne direction...

Le vieux Vito

Vita incline la tête pour te faire signe qu’il a compris, et s’éloigne d’un pas lourd à la fin de l’homélie. S’en suit une procession de condoléances et de marques de respects en tout genre. Le dernier à venir est un des hommes de la camorra, un type étrange, un albinos avec des cheveux filasses attachés en queue de cheval. Il te sert la main, tu remarques qu’il a gardé ses gants, et il te parle en italien. « Mes respects Don Paoloni, je suis Silvio Nascienze. Je partage votre douleur, mais la vie doit continuer, et il arrive que les embûches de la vie se révèlent au final être des opportunités. C’est en tout cas ce que semble penser votre neveu… »

« La force de caractère est indispensable Don Paoloni, mais elle ne saurait être suffisante. Par les temps qui courent, l’activité d’une organisation comme la votre se doit d’être internationale, et demain c’est au nombre de vos alliés que l’on mesurera votre réel pouvoir. »

Obséquieux à l’extrême, il te prend par le bras et t’amène discuter un peu en retrait. Tu ne peux t’empêcher de frissonner, même à travers les gants tu sens qu’il a les mains moites et froides, un peu spongieuses.

« La famille Falcone par exemple, a très bien compris l’intérêt que pourrait avoir votre réseau si il se mettait à son service. Ils sont en train de négocier une prise en main de vos affaires avec votre neveu… »

L’homme lève la main, un petit sourire sur les lèvres. « Vous les américains, êtes toujours très pressés n’est ce pas ? Disons dans un premier temps que ma famille pourrait s’assurer de l’éviction de toute menace vous concernant. Ensuite il viendra peut être un jour où nous serons amenés à faire affaire à nouveau… et ce jour là j’espère que vous n’oublierez pas vos frères restés au pays… »

Silvio te fait un sourire carnassier. Il a les dents jaunes et une haleine atroce. « Scellons cet accord d’honneur à l’ancienne manière, voulez vous ? » Il enlève son gant, en sort une main blanchâtre, et te la tend dans l’espoir d’une franche poignée.

Un frisson me parcourt le long du dos... Il y a quelque chose chez lui qui ne me plait pas du tout... mais dans ma joie de la journée, je me suis déjà laissé entrainé trop loin dans cette discussion, il est trop tard pour reculer, il me faudra être plus méfiant dans l'avenir... J'espère que je ne payerai pas trop chère ce manque de lucidité plus tard...

Je tends ma main vers la sienne et lui et la serre vigoureusement.

Maintenant excusez moi, mais ma famille m'attend pour la mise en terre, adieu...

Au moment de lui serrer la main, un pincement te traverse le bras jusqu’à l’épaule. Tu la retires vivement pour constater que quelques gouttes de sang coulent sur ta paume. « Milles excuses… vous vous êtes blessé sur ma montre… le verre est fêlé, il faudra que je la change… mais que voulez vous, c’est un souvenir » l’air peiné de Silvio est tellement surjoué qu’il mériterait un oscar. « Permettez… » il sort un mouchoir et éponge ton écorchure « quoiqu’il arrive, le sang aura coulé aujourd’hui… » ajoute t’il dans un ricanement sinistre.

Laissez, laissez ce n'est rien... Je dois vraiment y allez maintenant, ma famille m'attend pour la mise en terre.

Un certain agacement transparaît dans mes paroles, je lui tourne le dos et me dirige vers la sortie de l'église dans une démarche très autoritaire...

Tout ceci ne me dit rien qui vaille, il faut que j'en parle à Vito, qu'il enquête sur cet homme... Il y a longtemps que je ne me suis plus intéressé à nous cousin du vieux continents, il va falloir que je répare cette erreur!

La mise en terre est solennelle, les pleureuses siciliennes sont de toutes beautés, ce qui est plus que normal vu le prix qu’elles t’ont coûté. Tu jettes une poignée de terre sur le caveau, le petite Mike est juste derrière toi. Au moment de le croiser, il se penche vers toi et siffle entre ses dents « tu n’as pas perdu de temps… »

Je me penche vers lui et met ma mais sur son épaule, pour les personnes qui nous entourent, je prend un air compatissant, celui d'un oncle qui vient supporter son neveu dans cette horrible tragédie.

Le temps est une chose précieuse, mais j'ai l'impression que tu l'as bien compris toi aussi...

Les yeux braqués sur son oncle… et au-delà sur son avenir… le neveu sortit un pistolet de sa veste et le braqua sur le torse de Marsiglio. « Si tu aimais tant mon père, dépêche toi de le rejoindre… »
De l’avis de tous, cet assassinat anticipé brisait tout à fait les règles de convenance… comme quoi même dans les meilleures familles, les traditions se perdent…

la suite -> ici